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prestations ; c'est exactement la philosophie que nous poursuivons, dans chacune des chaînes du groupe. Et, ce qui
est très important également, vous avez participé à la création d'une marque, dotée d'une image forte ; cela, nous
n'avons pas toujours su le faire, chez Aurore.»
Le téléphone sonna sur le bureau de Leguen. La conversation fut très brève. Il se leva, conduisit Jean-Yves le
long d'un couloir dallé de beige. Le bureau de Jean-Luc Espitalier était immense, il devait faire au moins vingt
mètres de côté; la partie gauche était occupée par une table de conférences entourée d'une quinzaine de chaises.
Espitalier se leva à leur approche, les accueillit avec un sourire. C'était un petit homme assez jeune  sûrement pas
plus de quarante-cinq ans  au front légèrement dégarni, à l'apparence bizarrement modeste, presque effacée,
comme s'il souhaitait aborder avec ironie l'importance de sa fonction, fl ne fallait probablement pas s'y fier, songea
Jean-Yves ; les énarques sont souvent comme ça, ils développent une apparence d'humour qui s'avère trompeuse.
Ils s'installèrent sur des fauteuils autour d'une table basse devant son bureau. Espitalier le regarda longuement, avec
son curieux sourire timide, avant de prendre la parole.
«J'ai beaucoup d'admiration pour Jacques Maillot, dit-il finalement. Il a construit une très belle entreprise, très
originale, avec une vraie culture. Ce n'est pas fréquent. Cela dit  et je ne veux pas jouer à l'oiseau de mauvais
augure  je pense que les tour-opérateurs français doivent se préparer à aborder une période extrêmement rude. De
manière imminente  c'est devenu inévitable, à mon avis ce n'est plus qu'une question de mois  les tour-
opérateurs britanniques et allemands vont débarquer sur le marché. Ils disposent d'une puissance financière deux à
trois fois plus forte, et ils proposent des circuits de 20 à 30 % moins chers pour un niveau de prestations
comparable ou supérieur. La concurrence sera dure, extrêmement dure. Pour parler clairement, il y aura des morts.
Je ne veux pas dire que Nouvelles Frontières en fera partie ; c'est un groupe qui a une identité très forte, un
actionnariat soudé, il peut résister. Mais, de toute façon, les années à venir seront difficiles pour tout le monde.
«Chez Aurore, nous n'avons pas du tout le même problème, poursuivit-il après un léger soupir. Nous sommes le
leader mondial incontesté dans le domaine de l'hôtellerie d'affaires, qui est un marché peu fluctuant; mais nous
restons peu implantés dans le secteur de l'hôtellerie de loisirs, qui est plus volatil, plus sensible aux fluctuations
économiques ou politiques.
 Justement, intervint Jean-Yves, je suis assez surpris par votre acquisition. Je pensais que votre axe de
développement prioritaire restait l'hôtellerie d'affaires, en particulier en Asie.
 Ça reste notre axe prioritaire, répondit calmement Espitalier. Rien qu'en Chine, par exemple, les possibilités
sont extraordinaires dans le domaine de l'hôtellerie économique. Nous avons l'expérience, nous avons le savoir-
faire : imaginez des concepts comme Ibis et Formule 1, déclinés à l'échelle du pays. Cela dit... comment vous
expliquer?» Il réfléchit un moment, regarda le plafond, la table de conférences à sa droite, avant de fixer à nouveau
son regard sur Jean-Yves. «Aurore est un groupe discret, finit-il par dire. Paul Dubrule répétait souvent que le seul
secret de la réussite sur un marché, c'est d'arriver à temps. À temps, ça veut dire pas trop tôt : il est rare que les
véritables innovateurs tirent un profit maximum de leur invention  c'est l'histoire d'Apple contre Microsoft. Mais
ça veut dire aussi, évidemment, ne pas arriver trop tard. Et c'est là que notre discrétion nous a servis. Si vous vous
développez dans l'ombre, sans faire de vagues, lorsque vos concurrents se réveillent et songent à venir sur votre
créneau, il est trop tard : vous avez complètement verrouillé votre territoire, vous avez acquis un avantage
concurrentiel décisif. Notre niveau de notoriété n'est pas à la hauteur de notre importance réelle; en grande partie, il
s'est agi d'un choix.
«Ce temps est révolu, poursuivit-il après un nouveau soupir. Tout le monde sait maintenant que nous sommes
numéro un mondial. À partir de ce moment, il devient inutile  et même dangereux  de tabler sur une discrétion
excessive. Un groupe de l'importance d'Aurore se doit d'avoir une image publique. Le métier de l'hôtellerie
d'affaires est un métier très sûr, qui garantit des revenus élevés et réguliers. Mais il n'est pas, comment dire ? pas
tellement fun. On parle rarement de ses déplacements d'affaires, on n'a pas de plaisir à les raconter. Pour développer
une image positive auprès du grand public, nous avions le choix entre deux possibilités : le tour-operating, les
hôtels-clubs. Le tour-operating est plus éloigné de notre métier de base, mais il y a des affaires très saines qui sont
prêtes à changer de main, nous avons failli nous engager dans cette voie. Et puis l'opportunité Eldorador s'est
présentée, et nous avons décidé de la saisir.
 J'essaie juste de comprendre vos objectifs, précisa Jean-Yves. Est-ce que vous accordez plus d'importance
aux résultats ou à l'image ?
 C'est une question complexe...» Espitalier hésita, s'agita légèrement sur sa chaise. «Le problème d'Aurore,
c'est qu'il a un actionnariat très dilué. C'est d'ailleurs ce qui a provoqué, en 1994, les rumeurs d'OPA sur le groupe
 je peux vous dire à présent, poursuivit-il avec un geste assuré de la main, qu'elles n'étaient absolument pas
fondées. Elles le seraient encore moins à présent : notre endettement est nul, et aucun groupe mondial, même en
dehors du secteur de l'hôtellerie, n'a la taille suffisante pour se lancer dans ce genre d'entreprise. Ce qui reste vrai,
c'est que, contrairement par exemple à Nouvelles Frontières, nous ne bénéficions pas d'un actionnariat cohérent.
Paul Dubrule et Gérard Pélisson étaient au fond moins des capitalistes que des entrepreneurs  de très grands
entrepreneurs à mon avis, parmi les plus grands entrepreneurs du siècle. Mais ils n'ont pas cherché à garder un [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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